La Coupe de France Départementale de handball : un vol assumé par les élites

Ecrit par Alexandre Jaafari et corrigé par Camille Brossard. Illustration : "Sportifs" de Kazimir Malevitch.

En 2009, la Fédération Française de HandBall (FFHB) a créé trois coupes de France différentes. Celles-ci devaient permettre respectivement aux joueurs de niveau national, régional et départemental de s’affronter entre eux ou elles afin de pouvoir finir à Bercy.

J’imagine que l’objectif de départ était de donner aux plus petits clubs l’espoir d’un jour jouer à Bercy devant des milliers de spectateurs. Malheureusement, c’était sans compter le pouvoir symbolique de cette journée et la rapacité des élites de tout milieu.

En effet, quand on pense à la coupe de France départementale, on s’imagine que les finalistes et les vainqueur·e·s sont des joueurs et des joueuses ayant évolué une majorité de leurs vies en départemental. C’est faux. Quand on se penche de plus près sur les vainqueur·e·s des dernières années, on observe une toute autre réalité.

Pour comprendre la problématique que je vais exposer, vous devez comprendre l’organisation compétitive du handball. Afin de visualiser au mieux cette organisation, je vous propose ce schéma qui vous permet de comprendre la structure de la pyramide.

 
 

Le samedi 17 mai 2025, deux équipes remportent la coupe de France de handball départementale. Le Club Sportif Marguerittois remporte celle pour les femmes tandis que le Handball Club Bourgetain remporte celle des hommes.

La meilleure buteuse du Club Sportif Marguerittois, Elisa Biscuit, a joué en deuxième division au Bouillargues Handball Nîmes. Elle est accompagnée d’autres joueuses de niveau national.

Côté hommes, on observe le même phénomène:  le Handball Club Bourgetain aligne des anciens joueurs de niveau national dont les multiples profils sont retrouvables sur Handzone (1-2-3-4-5).

Ce hold-up annuel est aujourd’hui complètement normalisé et intégré. Vous pouvez remonter dans le temps en regardant les différents vainqueurs des Coupes de France départementale. Des ancien·ne·s joueurs et joueuses de niveau National sont toujours de la partie. On peut lire dans Midi-Libre que l’objectif du coach du Club Sportif Marguerittois était d’aller à Bercy.

Je suis abasourdi de la tranquillité d’esprit de ces élites qui viennent écraser, dominer et voler une compétition qui n’a pas été conçue pour eux à la base.

De manière amusante et intéressante, le jeu vidéo compétitif en ligne connaît ce phénomène depuis maintenant 30 ans. On le nomme le smurfing et nous allons l’explorer ensemble pour mieux comprendre ce qu’il se passe dans la Coupe de France de Handball.

Le Smurfing

En 1996, les joueurs Shlongor et Warp n’arrivent plus à trouver d’adversaires sur le jeu vidéo Warcraft 2. Les joueurs fuient devant leur supériorité vidéoludique. Ils ont une idée diabolique : adopter une nouvelle identité en créant deux nouveaux comptes nommés “Papa Smurf” et “Smurfette”.

 

Une référence de mon enfance

 

Les deux compères sont heureux. Ils peuvent rejouer à leur jeu préféré tout en écrasant leurs adversaires. Dans une interview à CBS, ils avouent volontiers leur plaisir “infantile” qui consiste à broyer les autres joueurs :

Warp and I enjoy making up names and playing people at Warcraft 2. We make them think we really suck and then beat them up. We have lots of fun playing as smurfs. We talk in smurf. We smurf us some ass at Warcraft 2. I guess that is totally childish, but it sure is fun.”

Depuis, le smurfing a bien fleuri. Il se retrouve dans beaucoup de jeux vidéo compétitifs où la montée en classement se fait lentement.

Dans leurs articles respectifs, Brian McCauley et Clarice Yi Huston répertorient plusieurs raisons à la pratique du smurf :

  1. Jouer sans pression.

  2. Tester de nouvelles tactiques.

  3. Jouer avec des amis d’un niveau différent.

  4. Recharger son égo.

  5. Gérer ses émotions négatives.

  6. Créer du contenu.

  7. Monter un compte avant de le revendre.

Il est intéressant de noter que toutes ces raisons, à part celle de jouer avec ses amis, s’appuient sur la domination de ces joueurs sur une population moins compétente qu’eux.

Cette population, battue avec facilité par les “smurfs”, ne ressent que des émotions négatives dans cette opération. Les victimes ressentent de l’humiliation, de l’impuissance, de la colère, de la frustration et un sentiment profond d’injustice.

Les dominants ayant recours au smurf sont parfaitement conscients de la négativité qu’ils causent. Cette ironie amère est d’autant plus palpable que ces bourreaux utilisent le smurfing pour gérer leurs émotions négatives quand ils ont trop perdu à leur niveau réel. Autrement dit, quand les smurfs n'arrivent pas à être performant, ils vont regonfler leur égo en allant tabasser des joueurs moins compétents qu’eux.

Sung Je le et al. nous apprennent dans leur papier qu’il existe un point fondamental pour distinguer les gens lorsqu’ils effectuent une performance :

  • Les premiers, motivés par des facteurs internes, voient la triche comme étant négative. Les facteurs internes étant la joie et l’intérêt de la pratique.

  • Les seconds, motivés par des facteurs externes, voient la triche comme étant acceptable. Les facteurs externes étant la récompense et la victoire.

En bref, toutes ces études sur le smurfing nous apprennent que les adeptes de cette pratique sont des gens sans empathie, qui n’hésitent pas à créer des sentiments négatifs chez les autres, pour leur seul bien-être émotionnel.

Le smurfing, tout comme le comportement des joueurs et joueuses de niveau National venant concourir en coupe de France départementale de handball, n’est qu’une affaire de domination.

Une affaire de domination

Une domination fédérale

Pour démontrer à quel point le comportement de ces handballeurs et handballeuses est à classer dans la domination, il faut tout d’abord revenir sur la structure même de la fédération française de handball (FFHB).

Le champ compétitif de la FFHB est composé en trois gros socles : le niveau départemental, le niveau régional, le niveau national. Plus on monte en niveau, plus le nombre d’équipes donc de joueurs et joueuses se restreint.

Je n’ai pas trouvé de chiffre officiel établissant la répartition parmi ces niveaux mais je m’étais déjà frotté à l’exercice.

Dans les divisions élites et nationales soit les Division 1, Division 2, Nationale 1, Nationale 2 et Nationale 3, j’avais compté 325 équipes.

Alors que pour la seule région Ile-de-France, j’étais arrivé à un total de 355 équipes évoluant au niveau départemental pour 148 équipes évoluant au niveau régional. Multipliez ce calcul par le nombre de régions françaises et vous aurez une idée du déséquilibre numérique entre les pratiquant·e·s évoluant en départemental/régional et ceux et celles évoluant en national.

La FFHB a communiqué dernièrement un chiffre de 602 218 licencié·e·s en France. Grâce à ce chiffre, on peut estimer la répartition suivante :

  • 485 000 à 510 000 licencié·e·s au niveau départemental.

  • 80 000 à 100 0000 licencié·e·s au niveau régional.

  • 10 000 à 15 000 licencié·e·s au niveau national (N1, N2, N3) dont 1000 au grand max au niveau élite (D1, D2).

 
 

En se basant sur ces chiffres, on comprend immédiatement que la force du handball français se situe au niveau départemental et non au pas au niveau national. Comme pour tous les sports, demain, si le niveau départemental disparaît, le handball français est fini. Alors que si le niveau national disparaît, le handball français continue son petit bonhomme de chemin très tranquillement.

Pourtant, quand on regarde le bureau directeur de la FFHB, on a l’impression que seul la sphère du haut niveau compte. Voici le pedigree des membres du bureau directeur que j’ai pu récolter sur le net :

  • Philippe Bana, Président : ancien Directeur Technique National, ancien entraîneur en D1.

  • Béatrice Barbusse, Vice-Présidente déléguée : ancienne joueuse en N1, ancienne présidente d’Ivry, championne de D1.

  • Michel Godard, Secrétaire Général : ancien joueur professionnel, ancien directeur du CREPS de Chatenay-Malabry, a travaillé à l’INSEP.

  • Bastien Lamon, Trésorier : ancien joueur professionnel, champion de D1.

  • Marie-Albert Dufait, Vice-Président en charge du service aux clubs : rien trouvé sur une attache au haut niveau.

  • Pascal Jeannin, Vice-Présidente en charge du pôle social : a déclaré que “la haute performance n’était pas son monde”.

  • Gina Saint-Phor Bourgeois, Vice-Présidente en charge de l’Outre-Mer : professeur d’EPS et joueuse dans un parcours régional.

  • Nodjialem Myaro, Vice-Présidente en charge du handball féminin et en charge de la LFH : ancienne joueuse de D1, ancienne internationale, multiple championne.

  • Paula Barata, responsable du Para Handball : Parcours en Savoie et en Ile-de-France dans lequel je n’ai pas trouvé de mention du haut niveau.

  • Bertrand Gille, Vice-Président en charge de la marque handball : ancien joueur de D1, ancien international, multiple champion.

  • Rémy Levy, Vice-Président en charge des affaires juridiques et du sport professionnel : a travaillé 15 ans au Montpellier Handball avec Patrice Canayer.

  • Sabine Dureisseix, responsable du pôle financier : profil financier. Ne vient pas du handball.

  • Nicolas Marais, responsable du territorial et du beachhandball : président de la ligue de Normandie. Je n’ai pas trouvé de mention du haut niveau dans son parcours.

  • Laëtitia Szwed, responsable de l’événementiel : ancienne joueuse de haut niveau à Mérignac.

  • Chloé Valentini, représentante des sportifs de haut niveau : internationale et joueuse de D1.

  • Aymeric Minne, représentant des sportifs de haut niveau : international et joueur de D1.


 En résumé, sur 16 personnes composant le pôle directeur, 10 personnes sont issues du haut niveau. Je répète : alors que le niveau départemental constitue la masse écrasante de la FFHB, le bureau directeur de cette fédération est constitué, par une immense majorité, de personnes issues du haut niveau qui ne vivent pas la réalité du niveau départemental.

Sur ces 16 personnes, on retrouve même une joueuse et un joueur qui servent de représentant officiel aux sportifs de haut niveau alors que le niveau départemental n’a personne pour le représenter.

Cette représentation démesurée du haut niveau au bureau directeur façonne une légitimité artificielle dans ce phénomène d’usurpation de la Coupe de France Départementale. Tout leur est donné. Dans leurs esprits élitistes, ils sont le handball français. Tout est façonné autour de cette construction hiérarchisée et dominante de l’élite handballistique. Ils sont le corps décidant du monde du handball, ce qui leur donne le droit de venir prendre ce qu’ils veulent quand ils le veulent. Peu importe qu’ils soient minoritaires, ils sont dominants.

Ces mécaniques sont mêmes visibles sur le terrain à travers des points très précis que je vais vous exposer dans la partie suivante.

Une domination organisationnelle et traditionnelle

En plus de voler la Coupe de France Départementale, les élites perturbent les championnats départementaux de manière historique et continue. Ces perturbations sont observables par plusieurs faits.

Le premier est très classique. Mais avant cela il faut comprendre comment le sport collectif et donc le handball fonctionnent. Un club peut avoir plusieurs équipes à différents niveaux au sein de son organisation. Ces équipes vont avoir des collectifs d’entraînements séparés avec des créneaux d’entraînement distincts. C’est au moment des matchs du week-end que la violence de l’élite va opérer.

Imaginons que le club que nous nommerons Alpha a 1 équipe en départementale. Le club Bêta a également 1 équipe en départementale mais aussi deux autres équipes, respectivement en Nationale 2 et Régionale 1.

 
 

Chaque week-end, le club Bêta doit sélectionner 36 joueurs et va procéder toujours de la même manière :

  1. Sélectionner 12 joueurs pour l’équipe 1 en Nationale 2 à partir du collectif de l’équipe 1. Quelques joueurs vont donc être non-sélectionnés et se retrouveront sur le carreau.

  2. Les joueurs sur le carreau, du collectif 1 évoluant en Nationale 2, vont être envoyés et imposés en équipe 2, évoluant en Régionale 1, pour le week-end. En effet, les joueurs du collectif 1 doivent avoir du temps de jeu pour se développer et ont donc la priorité. Des joueurs du collectif 2 vont alors se retrouver poussés sur le côté.

  3. Cet effet boule de neige va alors se répercuter en équipe 3. A leur tour, les joueurs non-sélectionnés du collectif 2, de niveau Régionale 1, vont alors jouer en Départemental. Les joueurs du collectif 3 non sélectionnés n’auront eux, que leurs yeux pour pleurer. Pas de handball pour eux ce week-end.

Tout ce manège est une entreprise de domination de classe au sein de tous les sports collectifs depuis très longtemps. Cet effet boule de neige a plusieurs effets. Premièrement, il acte que certains joueurs d’un même club ont davantage le droit de jouer que d’autres le week-end.

Deuxièmement, les joueurs qui descendent vont perturber le fonctionnement collectif de l’équipe. Non seulement, leur statut supérieur va leur permettre d’accaparer le ballon. Mais en plus, ils sont souvent aigris de ne pas avoir été sélectionnés dans le collectif avec lequel ils s’entraînent. Ils vont alors parfois, voir souvent, jouer de manière désinvestie, individuelle et irrespectueuse par rapport à leurs coéquipiers du jour.

Troisièmement, ces descentes aléatoires vont perturber le championnat départemental. Il suffit de tomber sur une équipe avec 5 joueurs d’un niveau supérieur pour que la rencontre soit pliée avant qu’elle soit jouée. Au handball, les miracles n’existent que très peu. Les niveaux sont là pour une raison.

Quatrièmement, ces descentes aléatoires ne le sont parfois pas autant qu’on le croit. Il suffit qu’un manager général ait une dent contre un club ou veuille faire jouer ses intérêts. ll pourra alors s’amuser à organiser sa saison pour mettre les bâtons dans les roues de ses victimes, voir jouer les faiseurs de roi.

A noter qu’il existe une règle de “brûlage” où un joueur ne peut plus descendre lorsqu’il a joué la moitié des matchs de l’année avec un collectif. Autant vous dire qu’un manager avisé contournera cette règle avec la plus grande des facilités. Encore une fois, on voit que le réglementaire est du côté des dominants.

Tout ceci ne vous rappelle rien? J’imagine que si. La mécanique est similaire à celle de la Coupe de France. Les élites n’ont aucun scrupule à venir voler, perturber et tuer le fun des championnats départementaux.

Cette impunité et cette prédation se retrouvent jusqu’à leurs comportements sur le terrain que j’ai pu observer pendant mes 31 ans de fréquentation du monde du handball. J’ai pu affiner d’autant plus cette analyse que deux clubs composés d’ancien·ne·s de haut niveau se sont formés dans notre département à Paris, notamment dans les effectifs féminins. Le résultat a été à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’un corps d’élite arrogant.

Une domination violente et symbolique

Tout d’abord, ce qui me frappe, c’est la lâcheté qui caractérise ces équipes. Les membres de ces clubs ne cherchent pas à venir apporter leur contribution à des clubs déjà en place. Ils cherchent à entasser du talent pour être certain d’écraser le niveau départemental. Ce qui est d’autant plus dommage quand on connaît la difficulté à obtenir des bénévoles et à assurer la structure des associations sportives aujourd’hui.

En effet, je rappelle que ces équipes se créent dans une optique vaine et pathétique de remporter la Coupe de France Départementale “entre potes”. Mais pour cela, ils vont devoir évoluer dans le championnat départemental tout au long de la saison. Les résultats sont alors tristes à pleurer. Soit, ils vont écraser le championnat, soit ils vont choisir leurs matchs et jouer à 10% toute l’année. Dans tous les cas, ces élites vont tuer le fun de toutes les autres équipes du championnat en s'adonnant à diverses pratiques.

Tout d’abord, ces gens peuvent se distinguer par une cruauté digne d’un chat avec une souris. Certaines de ces personnes vont tester des choses qu’elles n’auraient jamais osé faire autrement. Dans ces cas-là, si l’équipe outsider fait mine de revenir au score, l’équipe issue de l’élite va toujours accélérer en revenant à des techniques très efficaces pour tuer le suspense.

Cette cruauté va être toujours conjuguée avec du mépris. Ainsi, les athlètes issu·e·s de l’élite vont refuser certains pans du jeu. Par exemple, iels ne vont pas se replier car iels savent qu’iels n’ont pas besoin de se fouler dans ce registre défensif pour gagner. Ce faisant, iels montrent à leurs adversaires qu’iels leur sont bien supérieurs.

Il est courant aussi de les voir s’échauffer avec légèreté et de les voir ne pas faire de causerie à la mi-temps. Encore une fois, dans un souci de montrer aux adversaires qu’iels n’ont pas besoin de s’employer pour les écraser.

Enfin, la violence symbolique devient parfois extrêmement matérielle et directe. Ces joueurs et joueuses issu·e·s de l’élite vont demander à ceux et celles de départementale de “ne pas les blesser”. En effet, à cause de la différence de niveau et de vitesse, les athlètes de départemental peuvent faire des fautes grossières lors des duels. Le culot de l’élite va alors jusqu’à exiger des gueux de faire attention alors qu’iels sont ici les intrus. Dès lors que le jeu ne leur convient plus, iels n’hésitent pas à rappeler aux paysans et paysannes de départemental qu’iels ne sont pas “en championnat du monde”. En effet, les cris de joie, l’intensité et autres manifestations émotionnelles de vie sportive ne sont réservés qu’à l’élite. L’athlète de départemental doit se contenter de jouer à la baballe, de supporter, de servir de bénévole, de constituer le financement majeur de la fédération mais surtout, de na pas de manifester de la vie et de l’ardeur sur un terrain.

D’ailleurs, ces attaques verbales sont très intéressantes car elles se marient avec un autre point important de ces envahisseurs : la réécriture de l’histoire.

Ainsi, dans les différents témoignages des vainqueurs de la Coupe de France départementale, il est fascinant de constater à quel point iels se mettent en scène. Dans Mission Capitale, une joueuse de Paris XO, vainqueure de la Coupe de France départementale en 2023, présentait comme un exploit le fait d’être invaincu en championnat départemental alors que Paris XO avait littéralement des joueuses de niveau national dont une joueuse qui avait joué en professionnel en Allemagne. C’est comme si demain, vous vous vantiez de tabasser un bébé souffreteux en 1vs1.

De la même manière, le Handball Club Bourgetain, vainqueur de la Coupe de France Départementale en 2025 décrivait leur victoire comme étant incroyable car ils n’avaient “qu’un seul entraînement par semaine”. Le fait d’avoir d’anciens joueurs de Nationale 1 dans leur équipe n’était décrit que comme étant “une petite touche”.

Je pourrais continuer longtemps ainsi mais vous avez saisi l’idée. A l’image de nos élites, ces gens se comportent comme Steve Jobs ou Jeff Bezos qui auraient commencé à la dure dans des garages, en oubliant constamment de mentionner qu’ils ont bénéficié d’aides massives.

Néanmoins, ces joueurs et ces joueuses savent qu’ils sont des fraudes. Dans un entretien à la FFHB, la joueuse de Paris XO, Mathilde Varoquier, déclarait que toute l’équipe jouait en Nationale 2 ou 3 avant et qu’aller à Bercy était impossible pour elles à cause des équipes de niveau supérieur.

Leur tactique d’aller éventrer des divisions départementales pour remporter la Coupe de France départementale, tout en inventant un récit enchanté et mensonger, repose sur les mêmes besoins maladifs des élites. Ces gens veulent apporter une légitimité morale à leur domination amorale. Ils veulent conserver une image de soi valorisante. C’est pourquoi ils vont pousser les valeurs de sérieux, du travail ou de la solidarité en avant et non pas leur capital sportif initial. Enfin, ils veulent se créer un récit méritocratique où ils ont mérité leur moment à Bercy.

Mais à la fin de toute chose, iels ne sont que des brutes destructrices de fun. Car en faisant ce qu’iels font, iels s'attaquent au principe même de compétition.

Des destructeurs de monde

Dans la vision politique actuelle, le sport est souvent simplifié et binarisé. Le camp réactionnaire voit le sport compétitif comme étant égalitaire, fraternel, noble, juste, apaisant et bien d’autres adjectifs qualificatifs mélioratifs. Cette vision permet à ce camp politique d’instrumentaliser le sport à volonté.

A l’inverse, une partie de la gauche traditionnelle est hostile à l’idée de compétition car elle exacerberait certains penchants négatifs comme l’agressivité, la compétitivité, l'opportunité d’être cruel ou sournois. Dans cette vision, la compétition est essentialisée car elle est mauvaise en soi.

Or, je suis personnellement assez convaincu que la compétition peut être un outil sain. Que ça soit en sport, jeu vidéo ou jeu de société, j’y ai connu des émotions incroyables en me confrontant à d’autres personnes. La multiplication des adversaires et donc des stratégies à surmonter m’a toujours stimulé au plus haut point. Pour moi, la compétition est vertueuse et demeure un moyen de progrès mutuel quand elle contient deux types de normes :

  • Une norme de justice. Au sein de l’affrontement, les règles du jeu doivent être respectées et appliquées. Cette norme est d’ailleurs la source d'énormément de tensions autour du sport. Elle explique pourquoi les arbitres constituent un corps persécuté sans que l’opinion publique ne s’en offusque.

  • Une norme de jeu. Pour qualifier une compétition de juste, Sigmund Loland dit que le sport doit être un “doux moment de tension qui repose sur l’incertitude du résultat”.

 

Sigmund Loland

 

Pour ma part, j’y ajouterai deux autres points. Je pense que la compétition est vertueuse si elle est prise comme un moment où plusieurs camps comparent leurs entraînements et leurs stratégies. Pas nécessairement pour gagner, mais pour confronter son inventivité à celle d’autres personnes. Dans cette pensée, la victoire n’est alors plus un but en soi. Elle est une conséquence accidentelle de l’entraînement et de la capacité des gens à se synchroniser dans le cas d’un sport collectif. Pour moi, l’apprentissage doit être le point de mire de toute pratique sportive compétitive car le progrès est un moteur extrêmement satisfaisant et puissant, contrairement à la victoire qui crée toujours des malheureux.

A la lumière de tout cela, j’affirme que ces personnes évoquées tout au long de l’article, tuent la compétition. Leur comportement rend toute compétition vertueuse impossible. A cause d’elles et eux, la compétition n’est plus un moment de rencontre et de déplacements des individus, donc des idées. Elle reste une machine hiérarchique qui sert à humilier, dominer et écraser.

Dans leur logiciel cassé, l’adversaire n’est pas un partenaire de progrès mutuel, ni un égal, ni même un acteur, il est un décor de leur performance. L’adversaire n’est pas un pair à affronter, il est un obstacle à éliminer pour arriver au Saint-Graal du pathétique : 5 minutes de gloire à Bercy.

 Tout ça, pour leur petit bonheur personnel et égocentrique.

En conclusion

Je vois venir les contradicteurs qui me répondront : ces joueurs et joueuses ne sont pas responsables, c’est la FFHB qui l’est. Je leur rétorquerai : “A mes yeux, iels le sont tou·te·s”.

Comme je le disais plus haut, je n’attends rien de la FFHB dont le bureau directeur est composé majoritairement de gens issus de l’élite qui vont donc agir pour l’élite, ou du moins avec une philosophie qui favorise l’élite.

Je n’attends rien d’un groupe qui trouve ça très normal que le championnat de France masculin soit l’objet de règnes hégémoniques. D’abord Montpellier pendant 15 ans puis le PSG depuis 10 ans. Le championnat féminin connaît une histoire similaire avec une hégémonie de l’équipe de Metz ponctuellement interrompue par des outsiders. C’est d’ailleurs ces hégémonies qui rendent possible l’acceptation de la domination par la masse.

Je n’attends rien d’un groupe qui a accepté la sécession du handball d’élite par rapport au handball amateur en refusant de se positionner sur la colle, créant ainsi un handball d’élite, à qui on offre tout, et un handball amateur, qui va souffrir de règles de fonctionnement changeantes selon les municipalités.

Non, je veux poser une question ici : pourquoi acceptons-nous une idéologie venue du haut niveau? Pourquoi acceptons-nous une telle domination alors que nous sommes la masse et qu’ils sont la minorité ?

De plus, je voulais m’interroger sur la boussole morale des voleurs et des voleuses de la Coupe de France Départementale de Handball. Où est leur fun quand ils écrasent chaque week-end pendant un an ou plus ? Qu’est-ce qui se passe dans le cerveau d’êtres humains quand ils écrasent et humilient une équipe adverse chaque week-end ?

Je pense que ces expériences répétées de domination dérèglent le compas moral personnel.

De plus, je pense que la masse, incarnée ici par les gens jouant au niveau départemental de manière constante, ne doit pas accepter cet état de fait. Comme dans toute autre organisation, l’élite est dépendante de la masse, pas l’inverse.

Il est plus que temps d’apprendre à déceler ces moments de domination ordinaires et de les dénoncer sur la place publique. Il faut recréer du conflit dans le sport. Ce conflit donnera l’occasion à la masse de s’interroger sur le fléchage des ressources. Où vont-elles? A qui profitent-elles ? Ces questionnements permettront à chacun de comprendre les mécanismes de l’oppression des élites et ainsi de les combattre.


Sources

Profil des joueurs et joueuses : https://www.handzone.net/
Finale de la Coupe de France départementale : "Ces filles continuent à m’étonner", l’exploit des Gardoises de Marguerittes : https://www.midilibre.fr/2025/05/17/finale-de-la-coupe-de-france-departementale-lexploit-des-gardoises-de-marguerittes-12702338.php
What is Smurfing? The Weird Story Behind Online Gaming's Secret Accounts : https://www.youtube.com/watch?v=SUhThiW_7R0
DépFém – Une saison et déjà le titre suprême pour Paris XO : https://www.ffhandball.fr/actualite/competitions/coupe-de-france-indoor/depfem-une-saison-et-deja-le-titre-supreme-pour-paris-xo/
Une première historique pour le Handball Club Bourgetain : https://www.savoie-news.fr/reportages/handball/article/une-premiere-historique-pour-le-handball-club-bourgetain
Quiterie Landèche “Développer le sport féminin dans 18ème” : https://missioncapitale.paris.fr/paris-2024-n83/quiterie-landeche_copie
An Auto-netnographic Approach to Understanding Alternate Gaming Accounts: How Smurfing Impacts the Prosumer Experience in Counter-Strike:Global Offensive : https://journals.humankinetics.com/view/journals/jege/1/1/article-jege.2023-0024.xml
Defining Smurfing and Boosting in Rocket League : https://www.youtube.com/watch?v=O7Se2dAgCmY
Welcome to esports, you suck: understanding new consumer socialisation within a toxic consumption collective : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0267257X.2023.2213239#abstract
The influence of psychological needs and motivation on game cheating: insights from self-determination theory : https://www.frontiersin.org/journals/psychology/articles/10.3389/fpsyg.2023.1278738/full
Why Do Some Users Become Enticed to Cheating in Competitive Online Games? An Empirical Study of Cheating Focused on Competitive Motivation, Self-Esteem, and Aggression : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34912274/
Sport humanism: contours of a humanist theory of sport : https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00948705.2024.2388775#abstract
« Un peu ému et vraiment soulagé » : Michel Godard, directeur du Creps d’Île-de-France, est sur le départ : https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/un-peu-emu-et-vraiment-soulage-michel-godard-directeur-du-creps-dile-de-france-est-sur-le-depart-11-06-2024-ZBT7OVKNNZAIJPMIMBDX33NQZE.php
Présentation de Paula Barata par le comité de Savoie Handball : https://www.facebook.com/photo.php?fbid=936242265196964&id=100064335983354&set=a.473154704839058
Instances politiques de la FFHB : https://www.ffhandball.fr/vie-federale/organisation-federale/instances-politiques/
Sabine Dureisseix : https://www.handball2028.fr/lequipe/sabine-dureisseix/
Handball. Laëtitia Szwed, de la fondation d’un club en Vendée au bureau directeur à la Fédération : https://www.ouest-france.fr/sport/handball/hand-amateur/handball-laetitia-szwed-de-la-fondation-d-un-club-en-vendee-au-bureau-directeur-a-la-federation-7110101
Nadja Zimmermann Handball --- 1. Bundesliga Frauen --- HSG Bad Wildungen Vipers vs Borussia… : https://www.imago-images.com/sp/0027493870
Fair Play in Sport A Moral Norm System : https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203479049/fair-play-sport-sigmund-loland

Alexandre Jaafari